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Je vous salue dans le silence

J'ai ramassé la première palme de cocotier dans le jardin. En la voyant au sol, j'ai  vu un masque. J'ai peint le premier katara.

​                             1ère partie 

         

Partout où j'ai vécu, j'ai aimé les rebuts, ce que l'on jette, ce qui tombe par terre.

​ Dans le village, sur  les cendres, au milieu des feux refroidis restaient les bases des palmes des cocotiers trop gorgées d'eau pour brûler. J'ai agrandi la famille.  Tous semblables et tous différents, vivant leur propre vie en séchant, se tordant, s'aplatissant ou se recroquevillant  à leur gré. Ils regardent,  ils écoutent, ils se taisent, ils veillent sur nous tous. C'est ensemble qu'ils sont beaux.  Ils sont noirs et blancs. Rouges parfois. Parce  qu'en travaillant  j'ai repensé à la « prière aux masques » de Senghor.

  Du katara ( masque en  langue xârâcùù) au takara ( trésor en japonais), juste deux syllabes à échanger.  Tous les jours, je lis le journal d'ici avec les ciseaux. J'essaie d'écrire des haikus.
  Je ne suis pas d'ici. Je ne suis pas xârâcùù.  Je ne suis pas non plus japonaise. Je peins des kataras et j'écris des haikus. C'est mon trésor.

                                                      Canala, 2009
                                               

xârâcùù : langue de Canala

katara : masque en langue xârâcùù
haïku :  poème court japonais constitué de trois vers de 5, 7 et 5 pieds

takara : trésor en japonais  宝           

Festival des arts mélanésiens  Nouméa 2010            

                   

                  2ème partie

Peu de temps après mon arrivée à Canala, j'ai commencé  à peindre ces masques que j'ai appelé « katara », mot  emprunté à la langue xaracuu.



Ces kataras sont pour moi comme des mots que je n'arriverais pas à prononcer ou qu'on n'arriverait pas à entendre : une  tentative  pour  communiquer avec mon environnement : naturel et  humain.  Des messages, des messagers.

Depuis trois ans, j'offre ces kataras à tous ceux qui leur témoignent de l'intérêt. Ils sont un objet de médiation, de communication, d'échange.


En 2011, au lycée agricole de Pouembout, j'ai pu passer une après midi à peindre des kataras avec les lycéens (sous la responsabilité de leur professeur Ledji Bellow)

C'est à ces jeunes Calédoniens de toutes origines que je dédie cette installation.


J'ai choisi de présenter ma « collection » de kataras dans des valises. Depuis des années, je collectionne les  malles et valises abandonnées,  je les ai trouvées dans les rues des villes où j'ai vécu ou dans les brocantes. Certaines sont un héritage familial.


Je viens d'un pays  qui en s'urbanisant et s'industrialisant s'est éloigné de la nature.  Je suis celle qui pose ses valises  et regarde ce monde nouveau qui l'entoure. Non pour le conquérir ou le détruire.  Pour apprendre. Pour partager.

                                                   Poindimié, 2012











Ko Neva Centre culturel Tjibaou

La nature en harmonie avec la culture

Nouméa 2012

            3ème partie

Il y avait  longtemps que je voulais amener mes kataras dans les rues de Nouméa. L'exposition « La ville et ses chemins de traverse » m'en donne l'occasion.

Je vivais en brousse,  loin de Nouméa et je m'y sentais étrangère. J'ai cherché à renouveler mon regard sur la ville, à trouver une autre manière de l'explorer : j'ai pris le bus.
J 'ai pris la ligne bleue qui traverse la ville d'ouest en est  et d'est en ouest puis la ligne violette qui va du nord au sud et du sud au nord, deux lignes de bus qui passent à proximité du Centre d'art.

Nouméa, ville océanienne ? s'interroge  Dorothée Dussy  dans son livre sur la ville ( les villes ?) de Nouméa, sa géographie, son histoire et ses habitants. Une ville océanienne, sans aucun doute quand on voyage en bus même si les arrêts  s'appellent Jean Moulin ou 18 juin. Les chemins suivis  par les bus dévoilent d'autres villes dans la ville, il y a du visible et de l'invisible, du tape à l'oeil et du  caché. Il y a aussi des rencontres aux arrêts de bus.

C'est  à ces arrêts de bus  couverts de signes que j'ai décidé d'installer mes kataras de façon éphémère,  à proximité du Centre d'art, puis pendant la durée de l'exposition du 24 mai au 29 août sur l'itinéraire des  lignes bleue et violette, les offrant au regard des passagers et des  passants ( et les offrant tout court)

C'est à ces « voyageurs » que je dédie la troisième partie  de  Je vous salue dans le silence.

La ville et ses chemins de traverse, Centre d'art Nouméa 2012

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